jeudi 29 mars 2012

Hommage


Commençons par rendre hommage à la civette qui a beaucoup donné de sa bestiale personne à la parfumerie. 




Les civettes sont en fait une famille d'animaux, des viverridés qui vivent plutôt en Afrique et en Asie, et l'espèce qui nous intéresse est principalement éthiopienne.  
Elles sont connues depuis l'antiquité, chassées, encagées et élevées dans des conditions assez abominables pour recueillir les sécrétions de leurs glandes peri-anales, secrétions qui leur servent habituellement à marquer leur territoire. 
La pratique assez barbare du curetage des civettes enfermées dans des cages à peine plus grande que l'animal est assez choquante pour nos esprits modernes mais elle a bien eu cours pendant au moins deux millénaires.  Avant que les années 70  écologistes ne s'émeuvent et qu'on assiste à la réglementation ou l'interdiction pure et simple de l'utilisation de matières animales en parfumerie.

Ces bestioles, moyennement charmantes et réputées assez violentes, sorte de croisement de renard, de chat  et de blaireau mâtiné de belette, sont donc depuis les années 80 bichonnées et l'objet de soins attentifs. Les élevages de civettes ont pratiquement disparus et les conditions de récolte de la précieuse matière ont également changé: les sécrétions sont soit recueillies après que l'animal ait expulsé la matière soit la bête est gentiment invitée à l'éjecter dans un "tuyau".

Le prix de la substance l'a rendue prohibitive pour la plupart des parfumeurs: une matière de plus en plus chère, à l'inverse de celui du concentré de parfum, une très mauvaise image des matières animales en parfumerie, ceci explique que son utilisation ait peu à peu été quasiment abandonné. 




La matière civette utilisée en parfumerie est le résultat de la purification par des solvants des extractions anales, c'est une substance de la consistance d'un miel gras fortement odorant. 
Et personnellement, c'est une matière qui met mon nez (et mon estomac) à très rude épreuve.  Un concentré de sueur aigre, d'odeur de pied nus dans des bottes, d'haleine vineuse et de paille fermentée.
Ou encore: imaginez être enfermé dans un poulailler industriel où dans une chaleur étouffante, l'air saturé de poussières, des milliers de poules caquettent à tout va et ou l'odeur de merde liquide et chaude, de croupions souillés et de plumes sales vient caresser vos narines délicates. C'est à peu près la sensation que me procure la touche de civette fraichement trempée dans son flacon. 
D'autres descripteurs utilisent un vocabulaire fromager: entre le chèvre mi-sec et le munster oublié au soleil.
Fécal c'est le moins qu'on puisse dire. Et violent. 

Et puis, un miracle arrive: la puanteur excrémentielle s'estompe en partie pour laisser place à, tout étant relatif, une délicieuse senteur musquée, fleurie, et l'on comprend alors son intérêt en parfumerie. 
L'effet de la civette sur une composition, en plus d'amener des notes de fond animales, est d'harmoniser,  de donner du montant, de la rondeur, une richesse et une sensualité qu' hélas aucun musc artificiel n'a encore réussi à apporter. Elle souligne et fixe les notes de fond avec élégance. 
Elle est/était utilisée dans les parfums floraux, les floraux aldéhydés type Chanel N°5 (jusqu'au années 80, le 5 était réputé contenir de la civette), dans les chypres, les orientaux et tous les parfums comportant une note animale.

Le principal composé odorant de la civette est la civettone, reproduite par synthèse depuis les années 50. Elle s'apparente à un musc c'est -à-dire une grosse molécule qui met du temps à s'évaporer d'où sa présence en note de fond. Son odeur est chaude, sensuelle, animale, musquée, très diffusive et puissante.

Givaudan ou Firmenich proposent actuellement chacun une base civette (une base étant un mélange de molécules), reconstitution qui se veut le plus fidèle possible à l'original sans contenir de matière d'origine animale. 
Celle de Firmenich est intéressante, sans posséder la richesse de la véritable civette que j'ai pu sentir à l'osmothèque, mais elle offre un succédané suffisamment "merde aigre" pour en faire une matière utile pour relever des jasmins un peu trop fleufleur par exemple.

A suivre...


mardi 27 mars 2012

Un nouveau blog parfum : encore !


 





 Hop, à l’eau je me jette.

Cela fait quelques années maintenant que je hante les blogs, les forums et autres sites dédiés au parfum, et que je traque la perle rare, à peine sortie ou disparue depuis belle lurette. 
Commenter à droite à gauche m’a toujours suffit et l’idée de devoir alimenter un blog m’effrayait même assez, je n’en sentais ni la nécessité ni n’en avait la compétence. Mais face au phénomène de dispersion chronique dont je souffre actuellement, l’évidence a fini par s’imposer : il faut centraliser !

Inconstant, infidèle mais heureux, je me satisfais de tous ces flacons accumulés au fil des ans qui trônent un peu partout dans mon appartement. A l’abris de la lumière, de la chaleur, parfois oubliés, redécouverts, revendus, rachetés parce que finalement non, pas possible de vivre sans, ils constituent une mémoire, un trésor et une bibliothèque d’odeurs qui peuplent ma réalité vaguement centrée sur l’odorat.

Il parait que les papillons perçoivent le monde, avec leurs antennes, essentiellement sous forme d’odeurs et que pour eux les odeurs ont des formes. 

Parfois je me sens papillon, passant de flacon en flacon, butinant. 
Sentir et porter du parfum c’est ma manière de (ré) enchanter le monde. 




 

Et puis, à côté des flacons, il y a les matières : plus d’une centaine aussi.  Acquises d’abord pour le plaisir de découvrir ce qui se cachait derrière les notes et les accords chéris. L’idée de départ étant de simplement les sentir pour pouvoir ensuite reconnaître dans un mélange, la mousse de chêne, le cèdre, la fleur d’oranger, l’angélique ou l’iris.
Mais assez vite j’ai eut envie de les mélanger ces matières, naturelles au début, synthétiques également très vite, pour recréer des accords de base : un chypre, un ambre…

Le pas vers la composition de parfum a été vite franchi, poussé par l’imagination, et avec l’insouciance du travail, de l’argent  à fournir pour arriver à sortir quelque choses de portable de ces fioles aux noms barbares. Je n’ai bien sûr ni les moyens ni la technique et le savoir d’un parfumeur qui a étudié pendant plusieurs années avant de pouvoir exercer le métier de nez ; Mais j’ai pour moi la liberté d’explorer sans contraintes : pas de briefs, de panels, d’IFRA. Juste l’apprentissage lent et laborieux des bases d’un art millénaire. 

Et pas si vieux finalement : un siècle de parfumerie moderne.  Mais un siècle de révolutions : de l’artisanat à l’industrialisation. 

Ce blog tournera donc autour du parfum bien sûr, de quelques nouveautés plus ou moins confidentielles, des vintage disparus ou défigurés, des monuments inscrits à jamais dans mon panthéon parfumé, de matières premières et de créations personnelles.

J’espère ne pas trop soliloquer, les commentaires sont les bienvenus et ami parfumista: Tu es ici chez toi. 




Tableaux: Jean François Millet, Le Printemps (1873) et Odilon Redon, L'intuition (fusain, 1877)