jeudi 25 octobre 2012

Le Maroc pour elle, Tauer Perfumes




Andy Tauer est un parfumeur suisse qui a su séduire la blogosphère dès ses premières créations en 2005 et les critiques plus que favorables de Luca Turin dans sa bible des parfums ont sans doute aidé également à faire d'Andy un indépendant un peu culte au même titre que sa compatriote Vero Kern. Adulés pour leur audace et leur liberté créatrice, leur générosité et relative disponibilité pour échanger, répondre et entretenir le lien avec leurs afficionados, ils ont acquis un statut un peu à part.

J'ai découvert L'air du désert marocain et Lonestar memories lors d'un séjour en Californie et la puissance de ces deux brûlots odorants m'a tout de suite captivé: se promener dans le Topanga Canyon en cuir créosote de Lonestar c'est inoubliable, Joshua Tree park avec l'Air du désert Marocain: idem. Il n'en fallait pas plus pour me changer en adorateur des orientaux en technicolor et autres encens d'Andy.
Par la suite les nouvelles sorties de Herr Tauer m'ont moins séduit, avant de quasiment rendre ma carte de Tauerofan avec les Pentachords, d'incompréhensibles mélanges chimiques terriblement brutaux et agressifs en contradiction avec la qualité des matières notamment naturelles de ses premières créations. Et puis, au hasard d'une journée "pioche dans la boite à échantillons", je tombe sur Le Maroc pour elle, le premier parfum sorti avec l'Air du désert, conçu comme son pendant féminin, et là: quelle surprise! Éliminé trop vite il y a longtemps, je suis sous le charme à présent. 


Un départ en fanfare qui donne le la: une mandarine juteuse et pétillante passe rapidement pour laisser la place aux véritables héroïnes, la rose et surtout le jasmin, riche, profond, animal, relevé par une intéressante touche de lavande.  Floral certes mais contrebalancé par les notes boisées du cèdre de l'Atlas (forcément!) et légèrement épicé d'une cannelle discrète. 
Bien sûr c'est un Oriental et les baumes qui entourent la cœur opulent d'absolue de jasmin et de  rose marocaine  laisse deviner la richesse du fond à venir.
Un fond particulièrement dense: du patchouli bien présent cerné de notes poudrées sèches, de musc légèrement animal qui répond aux indoles du jasmin, de bois (le cèdre courre jusqu'au fond), un crémeux poudré du style santal boosté au cashmeran et à l'ambrox.  Soit, un parfum sensuel et chaud, chaleureux, épais sans être étouffant, et à l'image du Maroc que j'ai découvert récemment: souriant, accueillant, roublard et doté d'une tchatche à toute épreuve. Un parfum bavard et enveloppant.  

Le Maroc pour elle possède un fondu, une patine qui fait penser à un parfum ancien, un vintage un peu madéré. Et une vague sensation d'être dans une échoppe indienne pleine d'encens fumants.
 Nous sommes loin de la  classe d'un Guerlain grande époque (celle d'Aymée) ou de la maitrise technique d'un Dominique Ropion pour le compte des Editions Frédéric Malle par exemple, c'est un peu brut de décoffrage et un chouïa over the top comme disent les anglosaxons, mais j'y sens une authenticité, une sincérité qui me touchent. De belles matières généreusement dosées, Tauer ne lésine pas sur le naturel,  font que ses créations sont très confortables et qu'on a  le sentiment "d'en avoir pour son argent". 
Ajoutez à cela une tenue de dingue et un sillage assez monstrueux qui rappelle les orientaux des années 80...
Le Maroc? Quelque part entre le nag shampa, cet encens indien bien connu, et l'Origan de Coty. Bref, dépaysement assuré.




vendredi 19 octobre 2012

Rose Etoile de Hollande, Mona di Orio





Mona di Orio avait le talent certain de créer des oeuvres poétiques et délicates d'une sensibilité hors du commun. J'ai mis beaucoup de temps à succomber à ses potions que je trouvais d'abord trop chargées et parfois brouillonnes pour finir par entrer dans son imaginiare avec sa Vanille de la Collection les Nombre d'Or, la plus belle vanille que j'ai jamais senti. 
Mme di Orio a quitté ce monde il y a plus d'un an hélas mais elle a laissé derrière elle le parfum sur lequel elle travaillait et qui est sorti il y a quelques mois. Il porte le nom d'une rose, plus exactement d'un cultivar de rosier créé au début du XXème siècle par un hollandais, très odorante et souvent d'un beau rouge vif. Sa retranscription parfumée par Mona di Orio est un bien bel hommage à la reine des fleurs.

D'entrée la messe est dite, c'est une rose, sans conteste. Et plutôt réaliste, frémissante et délicate: la qualité des matières et notamment de l'absolue de rose bulgare et de rose turque est absolument délicieuse. Elle s'orne d'une peau de pèche, d'une touche d'aldéhydes qui la soulève et la pare d'une aura rêveuse à souhait. Déjà pointe une légère inflexion cireuse ou plus exactement fruitée poupée (et je suppose apporté par une matière, le datilat qui sent la poupée Barbie neuve). Un beau géranium amène des notes vertes, le cèdre et le clou de girofle l'épicent un peu. La vanille de Madagascar, le benjoin et la baume du Pérou, tous trois chargés en notes baumées et douces, apportent à l’Étoile de Hollande une assise poudrée suave sans jamais plonger vers le sucré ou le doucereux. 



Et pourtant il y a quelque chose d'étrange, plus l'on s'enfonce dans cette rose éthérée plus elle semble devenir artificielle. C'est un peu un parfum "alla Tim Burton": la jolie jeune fille révèle soudain son étrangeté et l'on comprends alors la léger malaise qui nous habitait depuis le début.  Cette Étoile de Hollande plonge donc vers le pastel teint de poupée sans se départir de sa note verte qui se révèle chlorophylle et lui donne finalement une odeur gout de malabar en expansion. C'est fascinant et cela force à rester attentif: on ne s’endort pas sur cette rose!  De loin, on aurait pu penser à Nahéma, mais au porter c'est une autre affaire.  Je songe au poème fameux de Verlaine: 

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime...




Merci Mona.

Photos: Flacon de Rose, Étoile de Hollande. Photos extraites du film Alice au Pays des Marveilles, Tim Burton.

lundi 15 octobre 2012

Rêve d'Ossian, Oriza L. Legrand.




L'antique maison de parfum Oriza Louis Legrand officia dès le début du 18ème siècle, parfumant princes,  rois ou empereurs et participant à l'avènement de la parfumerie moderne, avant de s'éteindre dans les années 30. 
Elle renait aujourd'hui de ses cendres en présentant quatre  parfums, inspirés de la gloire d'antan bien sûr: Rêve d'Ossian (1900), Relique d'amour (1910), Oeillet Louis XV (1909) et Déjà le printemps(1920).
Des quatre c'est Rêve d'Ossian qui m'a le plus interpellé : au premier abord en le reniflant distraitement lors des journées Rives de la Beauté à la boutique Jovoy, j'ai, je l'avoue eut un mouvement de recul, pris par surprise.

Une ouverture surprenante, des notes de pin aériennes un peu grasses et métalliques (aldéhydes et terpinéols?), de vieux bois et de mousse sur pierre humide mais qui se réchauffent en douceur, insufflant un  curieux élan  aux parfum qui aurait pu virer rapidement à la fougère classique et ennuyeuse. 
Très vite des noms comme benjoin, oliban, élemi résonnent en tête, et l'on songe aux onguents, aux baumes et aux bois chauds qui parfumaient les cours d'antan. 

Une odeur d'armoire ancienne, de linge flottant, de draps de lin propre, de maison de campagne, les matières se fondent  sans se départir de cette impression quasi mélancolique  d'aérien. Une odeur de papier chaud légèrement ambré, de reliure en cuir sec presque poussiéreux. Une impression de lande à l'automne également, d'ostie sur le bout de la langue. Autant d'images qui me viennent à l'esprit en le sentant, revenu au calme de mon antre parfumée.




En rêvant d'Ossian, j'entends les chants islandais antiques d'un scalde hirsute, besace en bandoulière et robe de bure sillonnant de mystérieuses forêts en discourant aux fées et autres farfadets facétieux. Au loin des corneilles en comité bavassent dans les peupliers et j'imagine sans mal Goethe au coin du feu frissonner en lisant les histoires d'amour impossible des dieux nordiques, de nains barbus et d'elfes éthérés.
Et même si l'on sait bien qu' Ossian n'a probablement jamais existé et est le fruit de l'imagination d'un poète britannique du 18ème siècle, le souffle ossianique m' emporte comme il emporta les romantiques dans son courant. 

Et  plus touchant encore, Rêve d'Ossian  me parle d'une parfumerie d'antan, surannée, le temps où des maisons comme Houbigant créaient des parfums du nom de Bois dormant, Au matin,  et où Mlle Chanel n'avait pas encore jeté la parfumerie dans l'abstrait et même, où les classiques fougères, chypres et orientaux n'avaient pas encore été inventés. Une parfumerie figurative où les premières matières synthétiques faisaient timidement leur entrée. 

Vraiment un beau travail de résurrection de cette maison totalement oubliée, les parfums sont tous de qualité et les flacons magnifiques, ils sont à la fois modernes dans leur traitement et complètement fidèle à l'esprit d'époque: une vraie réussite.


Photos: tableau d'Ingres Le rêve d'Ossian 1813; publicité 1906.