Andy Tauer est un parfumeur suisse qui a su séduire la blogosphère dès ses premières créations en 2005 et les critiques plus que favorables de Luca Turin dans sa bible des parfums ont sans doute aidé également à faire d'Andy un indépendant un peu culte au même titre que sa compatriote Vero Kern. Adulés pour leur audace et leur liberté créatrice, leur générosité et relative disponibilité pour échanger, répondre et entretenir le lien avec leurs afficionados, ils ont acquis un statut un peu à part.
J'ai découvert L'air du désert marocain et Lonestar memories lors d'un séjour en Californie et la puissance de ces deux brûlots odorants m'a tout de suite captivé: se promener dans le Topanga Canyon en cuir créosote de Lonestar c'est inoubliable, Joshua Tree park avec l'Air du désert Marocain: idem. Il n'en fallait pas plus pour me changer en adorateur des orientaux en technicolor et autres encens d'Andy.
Par la suite les nouvelles sorties de Herr Tauer m'ont moins séduit, avant de quasiment rendre ma carte de Tauerofan avec les Pentachords, d'incompréhensibles mélanges chimiques terriblement brutaux et agressifs en contradiction avec la qualité des matières notamment naturelles de ses premières créations. Et puis, au hasard d'une journée "pioche dans la boite à échantillons", je tombe sur Le Maroc pour elle, le premier parfum sorti avec l'Air du désert, conçu comme son pendant féminin, et là: quelle surprise! Éliminé trop vite il y a longtemps, je suis sous le charme à présent.
Un départ en fanfare qui donne le la: une mandarine juteuse et pétillante passe rapidement pour laisser la place aux véritables héroïnes, la rose et surtout le jasmin, riche, profond, animal, relevé par une intéressante touche de lavande. Floral certes mais contrebalancé par les notes boisées du cèdre de l'Atlas (forcément!) et légèrement épicé d'une cannelle discrète.
Bien sûr c'est un Oriental et les baumes qui entourent la cœur opulent d'absolue de jasmin et de rose marocaine laisse deviner la richesse du fond à venir.
Un fond particulièrement dense: du patchouli bien présent cerné de
notes poudrées sèches, de musc légèrement animal qui répond aux indoles du jasmin, de bois (le cèdre courre jusqu'au fond), un crémeux poudré du style santal boosté au
cashmeran et à l'ambrox. Soit, un parfum sensuel et
chaud, chaleureux, épais sans être étouffant, et à l'image du Maroc
que j'ai découvert récemment: souriant, accueillant, roublard et doté d'une tchatche à toute épreuve. Un parfum bavard et enveloppant.
Le Maroc pour elle possède un fondu, une patine qui fait penser à un parfum ancien, un vintage un peu madéré. Et une vague sensation d'être dans une échoppe indienne pleine d'encens fumants.
Nous sommes loin de la classe d'un Guerlain grande époque (celle d'Aymée) ou de la maitrise technique d'un Dominique Ropion pour le compte des Editions Frédéric Malle par exemple, c'est un peu brut de décoffrage et un chouïa over the top comme disent les anglosaxons, mais j'y sens une authenticité, une sincérité qui me touchent. De belles matières généreusement dosées, Tauer ne lésine pas sur le naturel, font que ses créations sont très confortables et qu'on a le sentiment "d'en avoir pour son argent".
Ajoutez à cela une tenue de dingue et un sillage assez monstrueux qui rappelle les orientaux des années 80...
Le Maroc? Quelque part entre le nag shampa, cet encens indien bien connu, et l'Origan de Coty. Bref, dépaysement assuré.