Dans la série cocotte rondouillarde qui se pavane dans les salons, voici Bal à Versailles, oriental épicé qui ne fait pas dans la demi mesure et empli l'espace, moelleux et velouté façon draperie opulente. Aristo au bal sans aucun doute mais ne nous leurrons pas, elle a beau être attifée pour la fête c'est une sans culotte. La robe peut dégueuler de jupons et de mousselines, cela ne l'empêche pas de se faire trousser en douce derrière une tenture du château.
Cela dit, ça démarre plutôt sagement sur des notes fraiches et rieuses de bergamote, de mandarine et de néroli. Quelques aldéhydes soulèvent le tout pour donner plus d'allant, presser le pas, car dès l'attaque on sent poindre le tapis persan, le vieux fauteuil poussiéreux et surtout les perruques si chargées qu'elles dégagent des nuages de poudre à chaque mouvement. Passé le portail, d'immenses couloirs qui résonnent, pleins d'encens, de candélabres, de fumée des bougies coulantes et des bruissements de robes sur parquet encaustiqué. Elle n'ose parler trop fort et il fait un peu froid dans la galerie des glaces, mais alors, quand on arrive dans la grande salle apprêtée, c'est des cris de ravissement et les premiers gloussements qui sonnent le début des réjouissances.
Quelques notes épicées se glissent en douceur sur un floral si fondu que l'on peine à distinguer qui est qui dans ce brouhaha de taffetas broché, de redingotes bleu ciel et de collants qui ne demandent qu'à glisser. C'est riche, capiteux, un fondu d'un classicisme parfait, enveloppé par ce nuage de poudre ambrée qui flotte dans l'air surchauffé, une poudre dorée qui emplit la pièce en nous étourdissant comme après la première quadrille.
Une mousse sèche, l’opoponax qui revient pour un tour, iris, benjoin, baume de tolu vanillé, cèdre et résines, le fond de Bal est une merveille d'ambre musqué. Car ne l'oublions pas, on ne se lavait pas des masses à cette époque là et la pratique de la surcouche de fards remonte à loin dans le temps.
Alors que l'eau de toilette est franchement plus poudrée, l'eau de cologne était réputée pour ses notes plus animales, une fourrure de civette se glissant en catimini sous la robe et c'est elle la dépravée sous ses airs de bonne famille.
Bal à Versailles est un monde un peu oublié, d'une richesse et d'un velouté exquis qui a traversé sans grand bruits les modes depuis sa création en 1962. Parfum emblématique de Jean Desprez, il aurait tout aussi bien pu naître à l'époque de l'Heure bleue où d'Habanita cet ambré fleuri épicé. Un parfum rétro poudré Louis XIV, parfum de précieuses pas ridicules pour un sequin, plutôt joyeux et fêtard, qui en fait un peu trop parfois mais c'est tellement bon d'être excessif.
Même le flacon flasque est au delà du too much avec son icône centrale représentant des dames à chapeau de plumes auréolées d'une douce innocence. Comme beaucoup de survivants, il a subi bien des variations, j'ai un souvenir ému à la pensée du parfum de toilette qui était absolument divin, mais Bal à Versailles a de beaux restes et ce qui ne gâche rien, coute bien moins cher que tous ces orientaux nichus et ennuyeux. Pas besoin de la ramener pour sentir la cocotte, c'est dans les bas étages que l'on a les bras les plus accueillants.
Photo: collection perso.