S'il y a une note qui a déferlé sur le marché de la parfumerie sélective et envahit les étals c'est bien l'oud.
Et vous savez quoi ? Nous, parfumistas ultra chics et de bon gout : on n'en peut plus !
Sentant tous plus (ou moins) mauvais les uns que les autres, sans finesse ni originalité, ultra synthétiques pour la plupart, la déferlante a fini par détourner les plus addicts de boisé intense et animal, lassés d'être pris pour des gogos. Car il suffit d'un rapide calcul vu la rareté de la chose et son prix (aux alentours de 10 000€ le kilo) pour comprendre qu'ils ne sont pas nombreux ceux qui utilisent du réel oud et souvent en traces homéopathiques.
Alors, c'est quoi le oud?
Concrètement, un mélange de notes animales, de différents bois qui vont finalement donner une impression : des matières synthétiques comme les crésols, le karanal alias bois qui pique, de l'ambroxan ; des matières naturelles : patchouli, cypriol, baume de gurjum, cade pour la facette fumée, de la civette en reconstitution et du castoreum. Le tout bien mélangé, et voilà !
Plus simple encore, de nouvelles bases ont été mises sur le marché il y a quelques années et ce sont surtout elles que l'on reconnait partout (Black oud chez IFF, black agar chez Givaudan par exemple ). Rien de nouveau sous le soleil des reconstitutions à moindre cout, mais quand la simple évocation de cette matière suffit à faire grimper le prix du flacon, on finit par sentir rouge !
Le véritable oud d'ailleurs est déjà une base, un mélange et la matière pure est quasi impossible à obtenir. Issue de la décomposition d'un arbre en voie de disparition par un champignon toxique, il s'agit d'une pourriture odorante qui dégage un fumet boisé, fumé, miellé, cuiré et animal aux accents de manchego oublié au soleil et de bétadine sur plaie suintante. Il est produit au Laos et en Thaïlande notamment où la production est très réglementée. Fini le temps où le fermier récoltait son oud sur des arbres sauvages, des champs d'arbres ont remplacé la récolte en forêt et encore, cultiver l'infection est un art très difficile et peu rentable en terme de quantité.
Les copeaux de bois infectés sont traditionnellement utilisés en fumigation comme un encens ou réduit sous forme d'attars huileux et utilisé pour ses propriétés calmantes et méditatives de l'Inde aux déserts d'Arabie.
En Europe, il a fait son apparition il y a une dizaine d'années, on se souvient de M7 et de sa publicité épicée, première incursion exotique de la note dans un parfum occidental. Pendant longtemps nous avions Montale, la maison sise rue de la paix à Paris qui dégageait de loin un fumet des plus envahissant, pas vraiment de la dentelle olfactive, mais d'une puissance inédite et qui attirait les téméraires. Puis la chose a semblé s'emballer, on a cru un moment que le soufflé allait retomber mais force est de constater que la mode dure.
Le oud est devenu le 4x4 de la parfumerie, le faux Vuitton ou le sac
Guess à paillettes, soit le degré zéro de l'imagination de marketeux de niche qui ont flairé la manne et qui s'enlisent dans ces
sorties en rafale.
Pour le client : un vague attrait moyen oriental, un
dépaysement à bon prix (enfin, façon de parler ...) Pour le vendeur, une
excuse : les moyens orientaux en sont dingues. Sauf que je me suis
laissé dire qu'ils sont loin d'être dupe et n'en veulent pas
particulièrement de ces ersatz. Quand on a senti le bois brûler dans les
maisons depuis son enfance, ce n'est pas ces jus chimiques vendus comme
le Graal qui suscitent l'attrait, on rêve d'un autre genre de
dépaysement et de richesse olfactive. C'est d'ailleurs bien pour cette raison qu'une maison comme Amouage venue du sultannat d'Oman préfère sortir des parfums, certes jamais de petites choses éthérées, mais pas spécialement portés sur le oud si l'on excepte les attars.
Et que dire de la mode qui consiste à nommer son nouveau parfum oud-filltheblanks, comme si la simple mention de la matière suffisait à donner de la valeur. Il n'y a plus rien de traditionnel là-dedans, au contraire ça sent fort la stratégie commerciale encore une fois.
Mais j'arrête là, c'est dit et il fallait que ça sorte.
Bien sûr, tout n'est pas à jeter dans cette déferlante et j'ai senti des choses merveilleuses, Leather oud chez Dior est un de mes préférés et celui de Mona di Orio malgré un prix stratosphérique, d'une beauté sans pareille. Et tant qu'à faire, j'aime sniffer l'attar acheté à prix d'or au fin fond d'une boutique indienne à une véritable passionnée qui allait chercher ses fioles directement sur place pour être sûre de la qualité de ses huiles et rire ensuite de la mine de parisiens reculant d'effroi en sentant la bête en flacon.
Simplement le trop est l'ennemi du bon parait-il, n'en avons-nous pas la preuve une nouvelle fois ?
Photo: coupe d'arbre infecté.