Commençons par rendre hommage à la civette qui a beaucoup donné de sa bestiale personne à la parfumerie.
Les civettes sont en fait une famille d'animaux, des viverridés qui vivent plutôt en Afrique et en Asie, et l'espèce qui nous intéresse est principalement éthiopienne.
Elles sont connues depuis l'antiquité, chassées, encagées et élevées dans des conditions assez abominables pour recueillir les sécrétions de leurs glandes peri-anales, secrétions qui leur servent habituellement à marquer leur territoire.
La pratique assez barbare du curetage des civettes enfermées dans des cages à peine plus grande que l'animal est assez choquante pour nos esprits modernes mais elle a bien eu cours pendant au moins deux millénaires. Avant que les années 70 écologistes ne s'émeuvent et qu'on assiste à la réglementation ou l'interdiction pure et simple de l'utilisation de matières animales en parfumerie.
Ces bestioles, moyennement charmantes et réputées assez violentes, sorte
de croisement de renard, de chat et de blaireau mâtiné de belette, sont donc depuis les
années 80 bichonnées et l'objet de soins attentifs. Les élevages de civettes ont pratiquement disparus et les conditions de récolte de la précieuse matière ont également changé: les sécrétions sont soit recueillies après que l'animal ait expulsé la matière soit la bête est gentiment invitée à l'éjecter dans un "tuyau".
Le prix de la substance l'a rendue prohibitive pour la plupart des parfumeurs: une matière de plus en plus chère, à l'inverse de celui du
concentré de parfum, une très mauvaise image des matières animales en parfumerie, ceci explique que son utilisation ait peu à peu été quasiment
abandonné.
La matière civette utilisée en parfumerie est le résultat de la purification par des solvants des extractions anales, c'est une substance de la consistance d'un miel gras fortement odorant.
Et personnellement, c'est une matière qui met mon nez (et mon estomac) à très rude épreuve. Un concentré de sueur aigre, d'odeur de pied nus dans des bottes, d'haleine vineuse et de paille fermentée.
Ou encore: imaginez être enfermé dans un poulailler industriel où dans une chaleur étouffante, l'air saturé de poussières, des milliers de poules caquettent à tout va et ou l'odeur de merde liquide et chaude, de croupions souillés et de plumes sales vient caresser vos narines délicates. C'est à peu près la sensation que me procure la touche de civette fraichement trempée dans son flacon.
D'autres descripteurs utilisent un vocabulaire fromager: entre le chèvre mi-sec et le munster oublié au soleil.
Fécal c'est le moins qu'on puisse dire. Et violent.
Et puis, un miracle arrive: la puanteur excrémentielle s'estompe en partie pour laisser place à, tout étant relatif, une délicieuse senteur musquée, fleurie, et l'on comprend alors son intérêt en parfumerie.
L'effet de la civette sur une composition, en plus d'amener des notes de fond animales, est d'harmoniser, de donner du montant, de la rondeur, une richesse et une sensualité qu' hélas aucun musc artificiel n'a encore réussi à apporter. Elle souligne et fixe les notes de fond avec élégance.
Elle est/était utilisée dans les parfums floraux, les floraux aldéhydés type
Chanel N°5 (jusqu'au années 80, le 5 était réputé contenir de la
civette), dans les chypres, les orientaux et tous les parfums comportant
une note animale.
Le principal composé odorant de la civette est la civettone, reproduite par synthèse depuis les années 50. Elle s'apparente à un musc c'est -à-dire une grosse molécule qui met du temps à s'évaporer d'où sa présence en note de fond. Son odeur est chaude, sensuelle, animale, musquée, très diffusive et puissante.
Givaudan ou Firmenich proposent actuellement chacun une base civette (une base étant un mélange de molécules), reconstitution qui se veut le plus fidèle possible à l'original sans contenir de matière d'origine animale.
Celle de Firmenich est intéressante, sans posséder la richesse de la véritable civette que j'ai pu sentir à l'osmothèque, mais elle offre un succédané suffisamment "merde aigre" pour en faire une matière utile pour relever des jasmins un peu trop fleufleur par exemple.
A suivre...
La civette est une note véritablement très puissante. J'ai eu l'occasion d'en sentir à l'Osmothèque, elle décoiffe la banane :-)
RépondreSupprimerJ'abonde dans ton sens, souvent elle est utilisée pour relever un parfum, un peu comme on utilise une épice dans un plat. Dans ce cas les bases actuelles, bien que moins intéressantes que l'originale, apportent une touche tout à fait exquise.
Mais alors, en quantité plus appuyée, ça décolle les racines, comme dans Rose Poivrée de The Different Company, dont j'ai l'insigne honneur de posséder un mini-vapo datant du début des années 2000... Là, la civette amplifie la facette "végétaux en décomposition" de la rose. Moi qui aime bien les parfums de caractère, je le trouve insortable. J'adore !
Civettone m'était contée :)
RépondreSupprimerBibises !
Aaaah mais c'est fou, je parlais justement de civette dans mon premier commentaire !
RépondreSupprimerJe ne trouve pas que la civette sente la merde. Mais le côté vieux cuir imprégné de sueur de pied sale, ou croûte de munster qui a vieilli des jours au fond d'une poubelle qu'on rouvre et qui dégage ses gaz toxiques fermentés... oui, la civette au nez semble toxique et je comprends son fonction première ! J'ai eu le même genre d'impression avec le oud pur qui, bien qu'il ne soit pas d'origine animale, dégage quelque chose de l'ordre du moisi fermenté qui te dégage les narines à la masse d'arme.
Dans quels parfums trouve-t-on la civettone de Firmenich ?
Oui Nez-lik, ça décolle les narines!
RépondreSupprimerJe l'avais oublié cette Rose poivrée qui dépassait largement la dose maximale de civette que je peux supporter. J'ai revendu mon flacon, ne pouvant pas le porter, ses notes de fond étaient vraiment redoutables.
Et effectivement civette et rose font bon ménage (j'en parlerai bientôt).
Livonia, entre nous la touche de Civet Firmenich sur mon bureau est assez abominable: heureusement qu'il fait beau et que je peux aérer (et que je n'ai pas prévu de recevoir dans les jours qui viennent). Ça vous pourri une pièce allègrement cette petite chose.
RépondreSupprimerGéraldine: disons que la civette ne sent pas la déjection humaine (on irait plus vers l'indole et le skatole dans ce cas là) mais clairement à mon nez campagnard, un mélange de fiente et de lisier.
RépondreSupprimerJe vois bien ce côté cuir dont tu parles, mais je préfère largement celui du castoreum dont je pourrais m'enduire avec un certain bonheur; alors qu'il me faut un certain courage pour humer la civette.
Ce blog est à peine ouvert et nous voici déjà en train de discuter merde, ça commence bien!
Quand au oud, je ne veux même pas en entendre parler en ce moment, c'est l'overdose.
Je rejoins Géraldine, le Oud a vraiment un côté fromager, mais plus vieux cantal à mon nez...
RépondreSupprimer(fin de discussion sur le Oud en ce qui me concerne)
Mince, Géraldine parlait de la civette, et moi j'embraye sur le Oud-cantal :-/
RépondreSupprimer(vraiment fini, ce coup-ci)
Bon, parlons du oud si tu insistes;) Oui pour moi aussi c'est cantal vieux mais aussi boisé miel, bétadine et croutes. Une belle matière peu utilisée en vrai et à la mode synthétique.
RépondreSupprimerPourquoi pas un retour de la civette "naturelle"?
RépondreSupprimerJ'entends par là, issue d'animaux en captivités. Car depuis peu, émerge un nouveau produit de luxe: la café pré-digéré par un animal qui n'est autre que... la civette!
Oui oui! Alors si on s'amuse à faire des élevages pour les cro-crottes pleine de coffee beans, pourquoi ne pas en profiter pour récupérer quelques sécrétions?
Je ne connaissais pas ce café! Mais la civette palmiste productrice de café et la civette de parfumerie sont a priori deux espèces différentes, à savoir si celle qui crotte du café sécrète aussi de la civette...
RépondreSupprimerDans les deux cas, le principal frein c'est la rareté de la production et le prix élevé qui en font des produits de luxe. Et l'image un peu scato bien sûr.
J'ai lu un article il n'y a pas longtemps, où ils mentionnait la civette de parfumerie, comme productrice de café, et non une de ses cousines. Surement une erreur alors!
RépondreSupprimerDommage!
Je crois profondément à l'égalité absolue de l'animal par rapport à l'humain. Je suis désespérée de lire certaines pratiques ( ça ne concerne pas la civette ), si vous saviez... Il est heureux que la liberté de l'animal soit un peu reconnue et que nous oublions notre stupide narcissisme par là même. Tant que la barbarie sera de mise envers l'animal, l'homme ne s'en sortira pas. Ce n'est pas moi qui le dis, mais les scientifiques de Berkeley, Cornell et autres universités que j'ai la chance de connaître un peu, du moins pour certains d'entre eux. La parfumerie doit se passer des substances animales en les remplaçant par des substances de synthèse. Ce ne sont pas les substances synthétiques qui gangrènent une certaine parfumerie mais le mauvais goût, propre à l'être humain, ni plus ni moins.
RépondreSupprimerLa civette doit appartenir à l'histoire du parfum, c'est apparemment et heureusement très souvent le cas aujourd'hui.
Tout à fait d'accord avec vous Dominique, ce ne sont pas les synthétiques qui appauvrissent la parfumerie mais le mauvais gout. Mais à mon gout, synthétique et naturel sont indispensable pour une bonne parfumerie, le tout synthétique me touche en général moins.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne les matières animales, la cruauté envers l'animal est à proscrire je suis d'accord, il y a d'autres matières recueillies de manière moins barbare (l'hyraceum ou la cire d'abeille par exemple, et l'ambre gris).
J'avoue que même la pratique d'infecter des arbres sains avec un champignon qui va les faire pourrir et les tuer pour produire l'oud, me mets également mal à l'aise, mais je préfère cent fois l'oud naturel à ses dérivés synthétiques.
Oui absolument, c'est toute la complexité du parfum : nature et synthèse. Le problème est que la biodiversité doit être préservée, nous n'avons que peu de temps pour le faire. D'autre part, la cruauté envers les animaux n'est pas admissible, pas plus la destruction d'arbres ( j'ignorais complètement pour ce fameux oud que l'on évoque si souvent ). Les Indiens d'Amérique ( désolée je ne me souviens pas du peuple exact ) disent bien que l'arbre a une âme, je suis d'accord avec ça. Voir tomber un arbre est un spectacle douloureux pour moi. A Madagascar, le trafic de bois de rose est dévastateur, il tue l'habitat naturel des lémuriens et tout ça pour fabriquer des meubles de luxe en Chine... Pays arriéré pour la défense de l'environnement et le respect de l'animal. Harvard est en train de répertorier toutes les espèces végétales du globe, c'est un sanctuaire précieux qui permettra la sauvegarde de ces espèces.
RépondreSupprimerAyant porté des parfums Guerlain contenant de la civette, je suis sûrement mal placée pour avancer des arguments... Cela dit, il ne faut pas détruire les espèces pour notre seul plaisir, en faisant ainsi nous allons droit au mur. Les scientifiques ont du pain sur la planche et comme vous dites il est clair qu'une matière naturelle est souvent supérieure à une matière de synthèse, qui voudrait d'un diamant synthétique , personne cela va de soi.
Je pense que les parfumeurs et les chimistes ont encore bien des voies à explorer, espérons qu'ils rivaliseront d'audace dans les années à venir. Et de l'audace ils n'en manquent certes pas !
Les modes et les nouvelles créations de parfumeurs suivent plus souvent l'avancé des techniques et les nouvelles proposition des fabricants de matières que l'utilisation de matières premières qu'elles ventent. Ce sont eux les "responsables" si on assiste à un déferlement d'oud. Dans les années 80 par exemple on a vu (subit quand à moi) une énorme vague fraiche et marine avec l'arrivée sur le marché de la calone et de molécules du type dihydromyrcenol.
RépondreSupprimerJe suis tout à fait pour qu'on se préoccupe d'environnement (et qu'on remplace un musc toxique pour les poissons par un autre plus biodégradables) et de santé (idem les nitromuscs réputés neurotoxiques). Mais je crois qu'il faut aussi être vigilant à ne pas trop se faire embobiner par des vendeurs de molécules dernier cri ou des organismes qui se préoccupent un peu trop de notre santé et de nos éventuelles allergies (IFRA).
Comme toujours la science est à double tranchant : bien/mal c'est sa vocation première. J'en sais quelque chose avec le carbonate de lithium que j'avale tous les jours... Molécule ancienne, peu chère mais redoutable à bien des égards ( reins notamment ). Ce n'est guère mieux avec les nouvelles molécules censées réguler l'humeur qui n'empêchent ni les rechutes ni les comportements à haut risque pour les patients. La science imprime sa marque de fabrique aussi dans la parfumerie : l'innovation. Je pense qu'il faut faire avec sans se laisser berner comme vous dites. Le vin aussi est toxique, ou plutôt les substances qu'il émet. Bon pour le coeur assurément, peut être oncongène aussi ! Le parfum n'est pas anodin, mais les amoureux des parfums ne sauraient renoncer à leur passion !
RépondreSupprimerL'environnement est une préoccupation majeure mais qui s'en soucie réellement ? Le terme " écologie " n'a pas de sens, " bio " non plus, là aussi on nous trompe avec des mots vagues sans rapport direct avec le désastre qui déjà est bien là.
Je suis bien de votre avis sur ce point, l'IFRA ou d'autres ont vite fait de nous embobiner. Pour ma part, je ne suis pas dupe, j'essaye de subir le moins possible tout en étant consciente des réalités. Mais ce n'est pas si simple.
La 1ère photo est saisissante. Un putois, comme Pépé le Putois. (Pépé le Pew, en anglais)
RépondreSupprimerj'ai rapporté cette année des Philippines de ce fameux café civette… d'une telle puissance que j'en ai fait des teintures et des macérats huileux; ils sentent le café (et non le musc) mais un café qui tient incroyablement
RépondreSupprimerAh vous en avez bu. Je n'ai jamais eu le courage. Mais il s'agit parait-il de civettes différentes des productrices de la matière parfumée. Je serais curieux de sentir ce café là en tout cas.
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