vendredi 15 février 2013

A bas l'oud !


S'il y a  une note qui a déferlé sur le marché de la parfumerie sélective et envahit les étals c'est bien l'oud.
Et vous savez quoi ? Nous, parfumistas ultra chics et de bon gout : on n'en peut plus ! 

Sentant tous plus (ou moins) mauvais les uns que les autres, sans  finesse ni originalité, ultra synthétiques pour la plupart, la déferlante a fini par détourner les plus addicts de boisé intense et animal, lassés d'être pris pour des gogos. Car il suffit d'un rapide calcul vu la rareté de la chose et son prix (aux alentours de 10 000€ le kilo) pour comprendre qu'ils ne sont pas nombreux ceux qui utilisent du réel oud et souvent en traces homéopathiques. 
Alors, c'est quoi le oud? 
Concrètement, un mélange de notes animales, de différents bois qui vont finalement donner une impression : des matières synthétiques comme les crésols, le karanal alias bois qui pique, de l'ambroxan ; des matières naturelles : patchouli, cypriol, baume de gurjum, cade pour la facette fumée, de la civette en reconstitution et du castoreum. Le tout bien mélangé, et voilà !
Plus simple encore, de nouvelles bases ont été mises sur le marché il y a quelques années et ce sont surtout elles que l'on reconnait partout (Black oud chez IFF, black agar chez Givaudan par exemple ). Rien de nouveau sous le soleil des reconstitutions à moindre cout, mais quand la simple évocation de cette matière suffit à faire grimper le prix du flacon, on finit par sentir rouge ! 

Le véritable oud d'ailleurs est déjà une base, un mélange et la matière pure est quasi impossible à obtenir. Issue de la décomposition d'un arbre en voie de disparition par un champignon toxique, il s'agit d'une pourriture odorante qui dégage un fumet boisé, fumé, miellé, cuiré et animal aux accents de manchego oublié au soleil et de bétadine sur plaie suintante. Il est produit au Laos et en Thaïlande notamment où la production est très réglementée. Fini le temps où le fermier récoltait son oud sur des arbres sauvages, des champs d'arbres ont remplacé la récolte en forêt et encore, cultiver l'infection est un art très difficile et peu rentable en terme de quantité. 
Les copeaux de bois infectés sont traditionnellement utilisés en fumigation comme un encens ou réduit sous forme d'attars huileux et utilisé pour ses propriétés calmantes et méditatives de l'Inde aux déserts d'Arabie.

En Europe, il a fait son apparition il y a une dizaine d'années, on se souvient de M7 et de sa publicité épicée, première incursion exotique de la note dans un parfum occidental. Pendant longtemps nous avions Montale, la maison sise rue de la paix à Paris qui dégageait de loin un fumet des plus envahissant, pas vraiment de la dentelle olfactive, mais d'une puissance inédite et qui attirait les téméraires. Puis la chose a semblé s'emballer, on a cru un moment que le soufflé allait retomber mais force est de constater que la mode dure. 
Le oud est devenu le 4x4 de la parfumerie, le faux Vuitton ou le sac Guess à paillettes, soit le degré zéro de l'imagination de marketeux de niche qui ont flairé la manne et qui s'enlisent dans  ces sorties en rafale. 

Pour le client : un vague attrait moyen oriental, un dépaysement à bon prix (enfin, façon de parler ...) Pour le vendeur, une excuse : les moyens orientaux en sont dingues. Sauf que je me suis laissé dire qu'ils sont loin d'être dupe et n'en veulent pas particulièrement de ces ersatz. Quand on a senti le bois brûler dans les maisons depuis son enfance, ce n'est pas ces jus chimiques vendus comme le Graal qui suscitent l'attrait, on rêve d'un autre genre de dépaysement et de richesse olfactive. C'est d'ailleurs bien pour cette raison qu'une maison comme Amouage venue du sultannat d'Oman préfère sortir des parfums, certes jamais de petites choses éthérées, mais pas spécialement portés sur le oud si l'on excepte les attars. 
Et que dire de la mode qui consiste à nommer son nouveau parfum oud-filltheblanks, comme si la simple mention de la matière suffisait à donner de la valeur. Il n'y a plus rien de traditionnel là-dedans, au contraire ça sent fort la stratégie commerciale encore une fois.
Mais j'arrête là, c'est dit et  il fallait que ça sorte. 

Bien sûr, tout n'est pas à jeter dans cette déferlante et j'ai senti des choses merveilleuses, Leather oud chez Dior est un de mes préférés et celui de Mona di Orio malgré un prix stratosphérique, d'une beauté sans pareille. Et tant qu'à faire, j'aime sniffer l'attar acheté à prix d'or au fin fond d'une boutique indienne à une véritable passionnée qui allait chercher ses fioles directement sur place pour être sûre de la qualité de ses huiles et rire ensuite de la mine de parisiens reculant d'effroi en sentant la bête en flacon. 
Simplement le trop est l'ennemi du bon parait-il, n'en avons-nous pas la preuve une nouvelle fois ?


Photo: coupe d'arbre infecté. 

23 commentaires:

  1. L'oud m'emmerde prodigieusement, et j'emmerde l'oud !

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    1. Voilà, qu'on se le dise. Et si la prochaine vague était gardénia?

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    3. ooups, bug.

      Je reprends.

      Je suis de votre avis, il semblerait que le gardénia puisse être la nouvelle tendance.

      A moins que ça ne soit "Oud Sport L'eau"...?
      triste Lol

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    4. Pitié pas de Oud sport! L’idée même de Dihydromyrcenol avec du oud me donne la nausée.
      Et pour le Gardenia, chuut.

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    1. Caroline "Je suis loin d'être un nez pointu spécialiste du sujet mais j'ai eu l'occasion d'essayer un oud naturel (enfin sensé l'être) de chez Nicolas De Barry, Kyara.
      C'est limite fécal, gratiné d'osmanthus et ça tient très très bien.
      Bon, maintenant on me dira peut-être que c'est de l'arnaque mais bon... "

      Caroline, je me permet de recopier votre commentaire sans les liens. J'espère que vous comprendrez que je ne veuille pas servir de pancarte publicitaire. Je ne doute pas par ailleurs de la sincérité du travail de Nicolas du Barry, néanmoins j'ai envie de dire: un de plus. C'est simple: comme pas mal de compagnons sniffeurs, je ne mets plus le nez dessus, victime d'overdose. C'est peut-être dommage mais c'est ainsi.

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    2. Euh, mes liens c'était de la pub??? Ah bon.
      Je précise donc que je ne suis pas ici pour vendre quoi que ce soit, merci.

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    3. Je ne voulais pas vous brusquer, simplement je préfère gérer moi-même les liens qui apparaissent sur le blog.
      En passant, j'aime bien le votre que j'ai consulté avec plaisir.

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  3. Je vous l'accorde, l'appellation "Oud", surtout lorsque la fragrance n'en contient qu'à dose homéopathique,ça devient barbant (de plus, ça manque cruellement d'originalité pour les noms, rien de poétique ou de vraiment évocateur). Cependant, avant de jeter le bébé avec l'eau du bain, il faut tout de même regarder ce qui se fait de bien dans ce registre (peu sans doute) et, comme vous le soulignez à la fin, Leather Oud de Dior en est une belle illustration. J'aime bien Oud immortel mais cette matière première y est absente et c'est plutôt le départ limonchelo qui m'est agréable. On pourrait faire le même exercice de triage en regardant du coté des faux cuirés qui n'ont que le nom à leur actif.
    Pour la vague du gardénia, peut-être...

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    1. Barbant c'est le mot. Mais bien sûr tout n'est pas à jeter loin de là et il y a de belles choses. Ne serai-ce que le Al Oudh de l'Artisan Parfumeur ou ceux de Different Company que j'ai trouvé bien agréable.
      Mais c'est ce matraquage qui est lassant. Faisons comme les enfants: pour dire, ce serait bientôt fini.

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  4. Et là, "la niche" prend tout son sens et dévoile ses mercantiles intentions...
    Dans quelques années ces marques seront oubliées, volatilisées car elles n'auront eu pour vocation que celle d'en foutre ras les sacs des gens qui possèdent le blé aujourd'hui: Moyen-Orient & Russie. Ces marques finalement, décrédibilisent le Parfum et se contentent de reproduire le schéma de la grande distribution séphoraesque.
    Moi je dis: "BEURK".

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    1. Bonjour Hugo, content de vous voir par ici!
      Le mot est lâché: ça décrédibilise la belle parfumerie et voilà affichées les véritables ambitions. Rien de nouveau sous le soleil sans doute, mais le procédé est devenu bien grossier. Et on ne parle même pas de la créativité.

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  5. Pardon: "signé Hugo Lambert, ex-Jovoy et qui sait de quoi il en retourne".

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  6. Je plussoie Hugo ! Surtout quand on pense que cette vague "oudesque" surfant sur un mauvais argument de vente "ça vient du Moyen-Orient", est totalement bidon ! Je ne pense pas qu'aux Emirats on s'asperge d'oud, mais plutôt de Jimmy Choo ou autre fragrance nasalement insupportable et plutôt elvéhèmehach-esque (c'est presque inhérent d'ailleurs). Mais bon, dans les deux cas, on y perd pendant que ces "nichettes" font leur beurre... hélasssss

    Anatole : gardenia ? quelqu'un me parle ? :-)

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    1. Les émirats en Jimmy Choo, ça fait frémir! Mais c'est probablement plus près de la vérité que le tableau qu'on nous vend. J'aime bien le mot nichette. "Vous reprendrez bien une nichette de oud."

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  7. Oud par ci, Oud par là...

    Ce sont des parfums Oud pensés par des occidentaux pour les marché occidental et donner l´impression que c’est un nouvel exotisme qui vient tout droit des 1001 nuits. Ca séduit un public curieux et friqué qui dépense sans compter. Il y la niche d’auteur et puis celle qui fait du blé (by Kilian ; c’est la seule image qui me vient quand je pense au bling bling-niche).
    Les vrais saoudiens portent du Oud qu’ils achètent dans le souks dans des petites fioles (souvent le contenu est douteux, mais tant que c’est marron, collant et que ça sent le chameau tout le monde est ravi.
    Parallèlement ce marché local est séduit par les parfums lourds et opulents comme Black Orchid et aussi les sirops des grands groupes (ces machins fluos). On appelle ça la masse et l’uniformité. Personne n’y échappe, pas même les princesses saoudiennes.
    Ce sont des parfums Oud pensés par des occidentaux pour les marché occidental et donner l´impression que c’est un nouvel exotisme qui vient tout droit des 1001 nuits. Ca séduit un public curieux et friqué qui dépense sans compter. Il y la niche d’auteur et puis celle qui fait du blé (by Kilian ; c’est la seule image qui me vient quand je pense au bling bling-niche).
    Les vrais saoudiens portent du Oud qu’ils achètent dans le souks dans des petites fioles (souvent le contenu est douteux, mais tant que c’est marron, collant et que ça sent le chameau tout le monde est ravi.
    Parallèlement ce marché local est séduit par les parfums lourds et opulents comme Black Orchid et aussi les sirops des grands groupes (ces machins fluos). On appelle ça la masse et l’uniformité. Personne n’y échappe, pas même les princesses saoudiennes.

    Mama-lola

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    1. Bonjour Mama-lola,
      Et pourtant les premiers Ouds de By Kilian étaient vraiment bien troussés; La suite s'est largement gâtée je vous l'accorde.
      Sentir le chameau synthétique c'est peut-être exotique pour le parisien tandis que madame sent le sirop mais effectivement ça l'est moins sur place.
      On ne fera pas la révolution, mais ça fait du bien de le dire en tout cas, et de montrer que nous ne sommes pas dupe.

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  8. Ho oui comme c'est bon de le dire encore et encore (vivement que l'on n'ait plus à le faire en fait!): on n'en peut plus!!!
    Ok, ils se sont éclatés avec une matière jusqu'à lors peu usitée par ici, ok c'est une matière qui envoie (mais qui sentira toujours la souris morte depuis 3 jours pour moi...)et l'ifra sape tellement les matieres... Mais là il est temps de faire jouer son imagination ailleurs, surtout lorsque les restitutions rendent cette matière tellement grossière et criarde...

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    1. Anatole : la nichette ? lol encore un livonisme (LOLL), dans l'affaire y'aurait bien que Tonton Yves qui ne nous a pas fait sa crise d'oud post-ado :-)

      LysEp : la souris morte depuis 3 jours en headspace ? tu aurais dû la garder :-)

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    2. La souris morte, cela me rappelle une histoire.

      Notre voix, si elle n'a pas forcément été entendue, au moins, ça fait du bien de le dire.

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  9. Et M7 dans tout ça???

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    1. M7 était une sorte de pionnier, il a été reformulé, pardon mis au gout du jour en changeant de flacon et je ne l'apprécie plus guère. Évidemment pas une once d'oud là-dedans, les parfumeurs sont de très bons illusionnistes.

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