dimanche 10 juin 2012

My sin / Mon péché, Lanvin





1924.  Madame Z. la mystérieuse Madame Zed russe parfumeuse, crée pour Jeanne Lanvin styliste, décoratrice et femme d'affaire, un parfum qui deviendra légendaire: Mon péché, My sin pour les américains bientôt, un floral aldéhydé comme c'est la mode; la Chanel a déjà sorti son 5, il faut suivre et se démarquer. Pour cela, Lanvin quitte le filon des parfums carnets de voyage qu'elle affectionnait jusqu'alors pour lancer une composition complexe, un parfum de trouble et d'intimité crue. 
Mon pêché n'est pas mignon, il est intime, terriblement. 

La désormais classique ouverture  d'aldéhydes vives et claquantes est plus en retenue que l'archétype  N°5 et ses grandes pompes,   elle est soutenue par une bergamote et surtout de la sauge sclarée et le néroli qui s'annonce. Le coeur est un bouquet  fleuri doux et feutré où la fleur d'oranger aux accents de mauve un peu encre, du jasmin, de l'ylang crème, une rose discrète et vaguement épicée de girofle, se mêlent pour brouiller les pistes et nous mener droit au fond si particulier de My sin: un lit de muscs sec, boisé de santal et de cèdre, enroulé dans du baume tolu, du styrax et de la civette. Musqué, savonneux, poudré, boisé, insaisissable et déroutant.

My sin porte en lui les traces d'histoires quotidiennes mises au jour,  de péchés quotidiens : un froc qui pend sur le rebord du lit, un corsage dégrafé, du linge qui traine, un reste de poudre sur le chemisier, une culotte oubliée, de la salive sèche sur la peau, un fond de savon croupi qui fond dans sa savonnette oubliée sur le bord de la baignoire, le bac de linge qui fut blanc trônant à coté, attendant l'heure. Il y a de la culotte qui a servi là-dedans, de la dentelle marquée du jour, une lessive louche qui sèche, durcissant au soleil d'avoir vu trop peu d'eau. Il flirte sans cesse avec la souillure, entre propre et sale. Ce n'est pas tant qu'il soit animal, c'est plutôt qu'il dévoile, sans jamais déballer la marchandise à la Tabu. La civette est fondue au reste, comme un relent de saleté qu'on saisi par inadvertance et qu'on est pas bien sûr d'avoir senti et qui attise la curiosité, l'envie, le désir.
Un parfum trouble décidément. 


L'extrait est absolument divin, dense et mystérieux. Les notes de tête le rapproche du N°22 de Chanel avant de bifurquer sur un cœur floral doux et poudré déjà, où perce une pointe de lilas parmi la fleur d'oranger  l'ylang et le jasmin. Le sauge sclarée me fait littéralement fondre en douceur avec ses accents de pomme fraichement coupée. Il y a surement de l'iris aussi qui assèche et enracine le bouquet et donne une tendance poupée de cire à l'ensemble. 
L'Eau de My sin est plus clairement savonneuse dès le départ, légère et plus axée sur la fleur d'oranger, l'anthranilate de méthyle commun à la plupart des fleurs blanches est clairement perceptible et accentue le côté encre mauve. Puis les deux plongent dramatiquement vers ce fond qui fait tout le prix de Mon péché: boisé musqué poudré à tendance savonneux. Animal par vague, et érotique en diable.

La production a été arrêtée en 1988, mais on en trouve encore ici et là quelques flacons, surtout l'Eau en vente pour des prix relativement raisonnables. Ou alors il faut par hasard tomber comme je l'ai fait, sur une parfumerie oubliée, hors d'age et dénicher, ô miracle, un flacon abandonné dans un coin qui n'attendait que moi pour faire son office.


Photo: Bette Davis dans" Of human bondage" 1934. Extrait et Eau de My sin, coll perso.

5 commentaires:

  1. Bonjour Anatole,
    Avez-vous senti "Crescendo"?
    Je viens de trouver un flacon vraiment vintage de Eau de Lanvin Crescendo et ce parfum est un petit bijou de finesse. Un mix entre le floral poudré du N°5 et la civette ambrée de Jicky.
    Coup de coeur assuré :)
    A bientot.
    Alx

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    1. Bonjour Alx,
      Et non, je n'ai jamais eut l'occasion de sentir de Crescendo qui m'a plusieurs fois fait de l’œil sur eBay pourtant. Il est un peu plus récent que les My sin, Scandal, Prétexte.. que j'aime tant mais je suis sûr qu'il vaut le coup de nez!
      J'ai lu quelque part que c'était un floral avec des notes de tabac et de cuir, ça suffit à attiser ma curiosité. Alors si une civette ambrée s'en mêle!
      Chanceux!

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  2. Bonjour Anatole,
    Sur ebay, on trouve des merveilles; c´est vrai.
    Crescendo est plus récent que ceux que vous citez (je crois qu'il date des 60´s) mais il possède ces notes class des floraux aldéhydés de l'époque, tout en retenue. Le final (sur mouillette) est musqué à gogo.
    On peut sans doute le sentir à l´Osmothèque...
    Sinon, si vous aimez les bestioles poilues, vous devez aimer Scandal? un vrai fauve, une tuerie!
    A bientot.
    Alex

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    1. Ebay c'est le mal! Mon compte en banque le hait.

      Scandal c'est le cuir ultime a mon avis, loin devant Cuir de Russie, on n'a jamais fait plus rugissant. Si je pouvais, je le porterai régulièrement, mais je me contente de humer mon extrait de temps à autre. J'écrirais un article à propos de ce Scandal bientôt!

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  3. Je jurerais sentir de la tubéreuse dans le parfum de My sin?
    Pour moi il est comme un précurseur de Fracas.

    C'est vrai qu'il y a une farouche dose de civette.
    La civette est moins enrobée et plus tonitruante dans l'eau.
    Je suis un garçon. Si je portais l'eau j'aurais plus peur de la partition animale que des envolées fleuries, ce qui est un comble!

    Le parfum est de ces extraits qui se dégage plus ou moins selon les jours. Tantôt fleur blanche moelleuse, tantôt tubéreuse dans toute sa grandeur et sa complexité.
    Jasmin, rose, santal, civette... les ingrédients ont une haute qualité presque tactile. Tout est bon dans le... my sin.

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