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Elsa Schiaparelli était déjà une créatrice de mode célèbre quand elle lança Shocking en 1937. Elle fréquentait les milieux surréalistes: Man Ray et Marcel Duchamp, ou encore Jean Cocteau et Salvador Dali qui collaborèrent avec elle à la création de robes et de chapeaux.
Elle voulut un parfum qui représenterait sa mode: inventive, non conventionnelle et fantaisiste.
Le flacon devrait être une œuvre d'art, il reproduira un moulage du buste de l'actrice américaine Mae West célèbre, surtout, pour ses formes très généreuses. La couleur, ce serait le rose. Un rose chaud et fier, conquérant qui allait devenir la marque de fabrique de Schiaparelli et inscrire Shocking dans l'histoire.
A sa sortie, c'est le scandale, la forme du flacon et la couleur choque et électrise l'opinion.
Et ce qu'il y a dans le flacon n'est pas en reste.
Elle a fait appel à Jean Carles le même qui avait déjà commis Tabu de Dana, autre parfum de femme libre.
Le style de Jean Carles est alors d'expanser l'accord chypre déjà classique avec une surdose de patchouli en opposition avec un accord fleuri, souvent de l'oeillet, ou de la rose dans ce cas. C'est audacieux, fauve et particulièrement "chaud" . Il utilise des bases comme c'est d'usage à l'époque, celles de Roure pour qui il compose, auxquelles il adjoint pour créer Shocking des notes animales et parmi elles, sans doute la plus shocking de toutes: la civette.
Le fond du parfum est donc sérieusement animalisé, épicé de clou de girofle et serti dans un chypre rond et presque ambré.
L'accord de cœur se doit d'être une rose, mais comme la créatrice et sa couleur fétiche, une rose riche, épicée, chaude et animale. C'est d'ailleurs avec du miel, qui annonce le fond de civette, qu'elle est servie, et pour corser le tout une touche de narcisse dont les accents de feuilles sèches et de foin se mêlent à ceux des pétales de roses fanant.
En tête et pour bien montrer à qui l'on a à faire: des aldéhydes, de la bergamote et surtout un trait d'estragon qui vous rappelle si vous l'aviez oublié, qu'on ne porte pas Shocking comme un vulgaire sensbon.
Il me fait l'effet d'une claque qui réveillerait l'endormie cet estragon, vif, rapide et efficace.
Mon flacon d'Eau de Cologne trône en bonne place dans l'armoire à vintage.
La cologne est d'une puissance qui ridiculiserait bien des eaux de parfums actuelles, la légèreté est de mise lors de l'application, et sa longévité assez phénoménale.
Elle n'a plus toute sa tête bien sûr, le temps a fait son ouvrage. Les aldéhydes ont soufferts, ils ont pris un aspect gras et savonneux, la bergamote n'est plus qu'un souvenir mais l'estragon rafraichit toujours d'une pointe aromatique le cœur du sujet qui s'annonce d’emblée et sans détours: une rose miel animale.
La rose shocking est poudrée, un peu grasse, le narcisse lui apporte des accents de fraicheur verte et des nuances de pétales séchés. Jusque là tout va bien. Le miel un peu cire enrobe le tout d'une douceur rassurante.
Mais très vite les notes de salive sèche du miel et de la cire d'abeille prédisent et précipitent l'évolution du parfum vers ce fond terriblement animal et envoutant. La civette atteint facilement la dose maximale supportable pour moi, mais son accompagnement oriental et chypré (j'y sens bien la mousse de chêne et le patchouli), la rende complètement addictive.
Je l'aime quand il fait chaud, en soirée torride il est parfait. Mais comme d'autres vintage qui font figures d'ovni face à la production actuelle, Shocking est un plaisir solitaire pour moi. C'est le genre qui vous extorque une bordée de "Oh putain" en gloussant la première fois que vous le vaporisez et je n'ai jamais osé le porter hors de ma tanière.
Ce n'est pas tellement un parfum sexuel, explicitement je veux dire, mais plutôt sensuel, très sensuel même, intense et voluptueux.
Une certaine idée de la langueur et de l'érotisme: Shocking c'est l'intime porté haut et très fort.
Une peau chaude que l'on lèche, un corsage dégrafé, une culotte qui pendouille sur le panier à linge sale, un vieux savon oublié qui se dissout peu à peu dans son porte-savon, le parquet qui grince, un meuble ancien en bois vernis, c'est une histoire d'intimité qui s'affiche et qui s'offre. Et c'est ce qui rend Shocking si choquant. Et troublant. Caldissimo!
Je pense d'abord à ces actrices italiennes plantureuses, à la gorge déployée et au teint éclatant; mais c'est aussi l'image d'un David à peau bronzée qui s’endort sur un lit défait après une douche rapide, qui s'impose.
Shocking annonce la couleur: celle de la sieste crapuleuse en plein été.
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Cette merveille a hélas été discontinuée, relancée et "mise à jour" brièvement en 1997 pour disparaitre définitivement peu après; mais on trouve encore quelques flacons sur Ebay, à prix assez élevés.
Il FAUT oser, affreux égoïste!
RépondreSupprimerPour moi, le David en question se recouche, oui, mais... sans être passé par la case douche, si rapide soit-elle ;)
RépondreSupprimerEt là, je l'ai, mon Shocking, des draps froissés et plus très propres (l'odeur de la lessive n'est plus qu'un vieux et très lointain souvenir), du lit défait au pied duquel des bas nylon gisent, fatigués, exsudant à la fois le cuir d'un haut soulier porté toute la veille au soir et cette odeur si particulière de gousset, plus très net, ayant galbé toute la soirée le divin pied à la cambrure réjouissante qui lui-même a donné "de sa personne" et all night long, en valsant sur un parquet ciré, et poussiéreux...
D. Oui je devrais. J'ai déjà mis très longtemps à faire mon coming out tubéreuse pour m'apercevoir que tout le monde s'en foutait, alors pourquoi pas.
RépondreSupprimerLivonia, C'est curieux parce que sur ma peau, pas de douche effectivement, direct au plumard. Mais sur touche, je sens une lointaine odeur de lessive recouverte de sécrétions diverses ou une odeur de peau qu'on vient d'essuyer avec une serviette un peu louche.
RépondreSupprimerOn est d'accord en tout cas, Shocking c'est le repos du guerrier.