Longtemps avant qu'Olivia Giacobetti ne mette magistralement le lilas en flacon pour le compte des Éditions de parfums Frédéric Malle avec En Passant, la maison Jean Patou sortait, en plein Front Populaire, un petit chef d’œuvre de poésie olfactive: Vacances. Un parfum qui célèbrait le printemps, l'insouciance et les premiers congés payés instaurés cette année là, en juin 1936.
1936, c'est également l'année du décès prématuré de Jean Patou, à la tête de l'une des plus florissante maison de couture et de parfum de l'entre deux-guerre. Une maison qui symbolisait alors luxe, décontraction et liberté, les premières tenues de sport c'est lui, et qui savait coller à l'air du temps pour le choix des noms de parfums sortant des propres laboratoires de la marque. Le parfumeur maison c'est Henry Almeras, qui a d'abord débuté chez Paul Poiret et ses Parfums de Rosine avant de rejoindre Patou en 1925.
Quand Vacances est lancé, ils ont déjà créé ensemble Que sais-je? en 1925, Chaldée (1927) et Normandie (1935) entre autres perles, mais surtout, le joyaux: Joy, sortie pied de nez à la crise de 1929, le parfum le plus cher du monde selon la formule.
Sur la côte bretonne ensoleillée (si!) par la fenêtre grande ouverte donnant sur la baie, des rideaux de tulle vert pâle et mauve flottent au vent. C'est un après-midi de printemps alangui, paisible, comme la longue frégate qui fend l'eau au loin. Dans le jardin au bord de la falaise, les aubépines blanches en fleur, le mimosa et le lilas se disputent et s'arrangent pour embaumer l'air d'une douceur poudrée de miel. Quelques jacinthes sauvages percent la pelouse verte et brillante qui n'a pas encore été tondue après l'hiver.
C'est (les) Vacances: après un départ où la vivacité du galbanum annonce la couleur, un vert tendre aérien qui perdurera tout au long de l'évolution, les fleurs prennent le pas et mènent la danse avec élégance et délicatesse. Se dégage de ce floral éthéré, une impression cotonneuse de pollen flottant dans l'air frais du printemps, totalement hors d'âge, presque irréel. Une perfection profondément émouvante. Certains y sentent de la mélancolie, j'y renifle la joie et l'innocence.
Les notes d'aubépines doivent beaucoup à l'anisaldéhyde à l'odeur de
mimosa poudré aux accents anisé, une matière fabuleusement élégante. La
jacinthe c'est bien sûr l'aldéhyde phénylacétique avant tout, qui couplé
à l'héliotropine et à l'alcool phényléthylique à l'odeur de rose verte
et riz blanc donne le lilas. Le fond de musc (et sans doute de l'amyl allyl glycolate en traces qui harmonise les notes vertes en laissant une légère sensation métallique en fond) et de bois doux font durer et étirent la composition qui s'étiole doucement.
Hélas, mille fois hélas, cette merveille a disparue depuis longtemps des étales de marchands d'odeurs. La maison jean Patou a brièvement réédité 12 de ses chefs d’œuvres oubliés en 1984, dont celui-ci, sous la houlette et la palette de Jean Kerléo alors parfumeur maison, qui s'est inspiré de ses origines bretonnes et de ses séjours sur la côte pour faire revivre Vacances. L'eau de toilette qui n'existait pas est une création qui reste très proche de l'esprit de l'eau de cologne et de l'extrait original.
Malheureusement encore la recréation a elle aussi disparu et les rares flacons qui apparaissent à la vente ici et là, atteignent de sommes folles.
(Je garde et chéri mes quelques millilitres de poésie).
La marque a été rachetée en 2001 par le géant de la lessive Procter et Gamble, puis revendu en 2011 à Designer parfums; nous sommes plusieurs aficionados à prier régulièrement la Sainte Madeleine des parfums pour qu'ils aient l'idée de génie de ré-éditer quelques merveilles du catalogue riche et souvent d'une étonnante modernité de cette maison qui sombre peu à peu dans l'oubli, dont cet incroyable Vacances.
Peintures: Henry Matisse, Femme au manteau violet et Le Leçon de piano
Hélas, lorsque je suis allé récemment à la campagne, seule l'aubépine noire était en fleur, je n'ai donc pu sentir l'aubépine blanche...
RépondreSupprimerPour moi ce parfum reste aujourd'hui très moderne, dans son innocence enjouée. Pourtant, je l'ai fait sentir à une amie non parfumista - mais néanmoins sensible aux odeurs - qui le trouve très daté. Pourrais-tu me dire si toi aussi tu considères qu'une partie de la structure le rapproche des autres Patou et leur aura années 30 ?
En fait oui, il y a une aura particulière à Vacances, Cocktail et même Adieu Sagesse, ces notes vertes un peu acides, des matières communes oui. Bon, le mimosa, le lilas ne sont peut-être pas non plus des notes très modernes et les matières ont beaucoup été utilisées par la suite dans des savons, des crèmes... Mais le traitement aérien lui l'est. Ce sont des parfums à histoires.
SupprimerIl est cependant différent parce qu'à priori il n'est pas construit à partir de bases comme les orientaux ou les chypres de la maison.
L'aubépine fleuri et fane rapidement je crois, il faut avoir la chance de la saisir. Et c'est maintenant!
Je suis tout à fait d'accord aussi sur le fait qu'ils gagneraient à réediter ces merveilles.
RépondreSupprimerCelui jouit à mes yeux d'une extrême modernité, dans l'esprit de Giacobetti en effet.
Coup de coeur pour "Que sais-je ?" ;)
J.
Exactement, il y a la même poésie et le même traitement un peu aérien et éthéré que dans certaines créations de Giacobetti. Je pense à L'Eau argentine par exemple.
SupprimerQue sais-je? est un monument! Je crois même que je le préfère à Mitsouko! Plus lumineux, et rond que son ainé, sa note de noisette fruitée chyprée est tout simplement magique.
Que des notes que je n'aime pas et vous réussissez à me faire envie quand même... Je vous hais (un peu) Monsieur Lebreton!
RépondreSupprimerC'est en inspirant Vacances que j'ai trouvé l'inspiration! A l'ombre des lilas en fleurs..
Supprimer" Joy " ah oui celui-là a fait parler de lui ! " Vacances " je ne connaissais absolument pas, quel dommage que tant de parfums ne soient plus là pour témoigner d'une époque et d'un état d'esprit. D'un autre côté, on ne peut pas être nostalgique sans disparition ou passé.
RépondreSupprimerLes toiles de Matisse figurent en bonne place - quels magnifiques tableaux ! - dans les musées, c'est hélas plus difficile avec les parfums, mais la mémoire olfactive, elle, est d'une puissance inégalée. Peut être y en t-il un exemplaire bien conservé quelque part..... Vacances....
Et oui Dominique, Joy n'est en quelque sorte que la partie émergée de l'iceberg. Pour sentir ces petites merveilles il faut aller à l'Osmothèque écouter Jean Kerleo toujours passionez par ces parfums qu'il a contribué à inscrire dans l'histoire.
SupprimerOui je sais bien seulement je suis environ à 600 km de Versailles, et pour l'heure bref... Mais je compte bien y aller, contre vents et marées ! Je note pour Jean Kerleo ( un Breton soit dit en passant ? )
RépondreSupprimerC'est vraiment un plaisir de te lire quand tu parles des vieilles patou! Maintenent j'ai encore plus envie de sentire les lilas et Vacances :)
RépondreSupprimerMerci beaucoup Magnifiscent! On trouve encore quelques miniatures sur eBay mais les prix sont un peu élevés. Autant prendre sa dose de lilas en allant se promener dans les parcs et jardins en ce moment..
SupprimerBonjour Anatole.
RépondreSupprimerVacances est un parfum merveilleux, en effet.
Il parait qu´il devrait etre réedité tres bientot chez Patou, sans doute avec tous ses autres frères et soeurs. Bonne nouvelle, donc!
A suivre.
Alex
Bonjour The-empty-bottle,
SupprimerOui j'ai entendu parler de ça.. je prie, sans m'enthousiasmer, trop peur d'être déçu. Une affaire à suivre de près en tout cas.
Scoop!
SupprimerJe viens d'apprendre que "Joy" serait relancé en 2013 avec tout le panache qu'il lui revient.
A suivre...