jeudi 22 novembre 2012

Bois d'ascèse, Naomi Goodsir




Les nouvelles marques pullulent ces derniers temps et il est parfois difficile de s'y retrouver tant l'offre de mouillette sous le nez est énorme. Faire le tri entre le coup marketing savamment orchestrés à coup de money money et la démarche créative sincère s'avère vite nécessaire pour ne pas s'épuiser  et se lasser de ces lancements  qui finissent par un peu tous se ressembler. Quiconque avec un peu (beaucoup) d'argent et l'ambition de se faire une place sur le marché juteux des e-parfumeurs, peut facilement acheter une formule, un concentré à une société de composition et lancer son nouveau joujou à coup de paillettes et de plus ou moins bling bling. Enrobez le tout d'une histoire d'authenticité et de vocation passion et le tour est joué. 
Parfois le processus créatif est plus ambitieux et le client au lancement d'une nouvelle marque de parfums passe commande à un parfumeur créateur voire fait appel à un parfumeur indépendant avec qui il ou elle peut travailler en plus étroite collaboration, le résultat  plus qualitatif et innovant que l’achat de ready mades réserve de temps à autre de belles surprises, et ce n'est pas le nez fouineur parfumisto de son état qui s'en plaindra. 

Je ne connais absolument pas Naomi Goodsir, une designeuse et créatrice de chapeaux australienne formée par un mystérieux "protégé" d’Elsa Schiaparelli, et j'avoue sans peine avoir un peu soupiré à l'idée de tester ses deux créations: "c'est quoi ça encore ..." Elle arrive cependant précédée d'un brouhaha nommé buzz, le lancement à Pitti Fragrance il y a quelques mois a fait parler d'elle et les jus seraient, untel me l'a dit, digne d'intérêt voire plus si affinité. C'est donc avec un minimum de circonspection mais une relative curiosité que j'ai mis le nez sur les deux parfums de dame Goodsir. 
Tous deux ont été créé par Julien Rasquinet  jeune parfumeur au curriculum intéressant puisqu'il fut élève de Pierre Bourdon, a travaillé sous l'aile de Christine Nagel pour Mane, avant de se lancer dans l'aventure de l'indépendance.  Et à sentir ses deux dernières créations, en collaboration -commandes de Naomi Goodsir donc, ça lui réussi plutôt bien.
Le premier, Cuir velours,  est un cuir oriental comme son nom l'indique doux et feutré, avec de savoureuses notes d'abricot (l'effet rhum sans doute pour mon nez) qui finit un peu gourmand et sirupeux sur ma peau mais reste un joli travail sur la matière et pourrait facilement rejoindre la harem des amateurs de tabac cuirés.


Bois d'ascèse le second,  est quant à lui une belle claque dans le nez, un travail très original sur la fumée et le bois. Le parfum débute sur des notes de têtes quelques peu déstabilisantes, on ne sait pas trop sur quel terrain elles vont nous mener, mais qui très vite laissent place au thème principal: la combustion. 
L'ascèse, comprise comme méditation et recherche d'un au-delà de la forme humaine, qui plonge aux origines du parfum, le fameux per fumum, la fumée ascétique, la fumée purificatrice, le bois sacré et l'essence divine. 
Nous voguons donc aussi bien parmi les aborigènes d'Australie utilisant cendres et suies pour leurs peintures rituelles, que vers les mystiques flamands tels Maitre Eckhart prônant le dépassement métaphysique de soi comme une fumée s'élève et se sépare du bois. 

Le parfum fait la part belle au bois de cade,  une variété de genévrier dont on extrait une huile qui est ensuite pyrogénée : peu utilisée en parfumerie, pas franchement aimable, sèche, brûlée, goudronneuse et très intense, elle en forme le pilier central en quelque sorte.  Le cade est accompagné d'encens de Somalie (les deux forment à mon nez une étonnante note céleri), de tabac (relevé pour une pointe de cannelle), ambré grâce au ciste labdanum et asséché d'une touche de mousse de chêne, révélant ainsi la facette cramée de l'evernyl, une matière synthétique qui remplace et soutient désormais la mousse de chêne bannie.

C'est un parfum de grands espaces, loin de la petite fumée d'intérieur et de l'âtre cocon, c'est au grand air que se joue la musique de ce bois. J'ai des images de champs dévastés par le feu, de brulis,  de moignons calcinés, l'odeur froide des cendres et de la suie. Autour se greffent des sensations de whisky tourbé sortant d'un vieux fût de chêne, de pipe froide, de thé du tigre, un thé fumé taïwanais, et par moment aussi la nette impression de sentir la saucisse de Morteau il faut bien le dire. 
C'est avant tout un parfum émotionnel, de "j'ai déjà senti ça" qui m'évoque une vieille veste en cuir élimée qui sentait la fumée au retour du jardin où l'on faisait bruler des feuilles mortes. Bref, un parfum on l'on se sent bien, qu'il convient d'habiter, qui invite à l'intériorité et au recueillement. 


Les parfums Naomi Goodsir sont disponibles chez Nose à Paris, rue Bachaumond, la nouvelle boutique de niche hype à visiter et sniffer à loisir.
Photo: Uluru Ayers rock ; Feu de camp peinture de Winslow Homer






1 commentaire:

  1. Je le sens d'ici... Je trouve votre franchise réjouissante. Merci d'avoir nommé la saucisse de Morteau, le tout n'en est que plus évocateur.

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